L’aide à mourir, reconnaissance d’une liberté individuelle

Christophe Cousinié pasteur de l’Église protestante unie

Article paru dans l’hebdomadaire protestant Réforme

https://www.reforme.net

du 4 avril 2024

Lors de l’accompagnement de la fin de vie, il est essentiel de reconnaître la valeur primordiale de la liberté de conscience pour chaque individu. Il convient de privilégier les choix personnels plutôt que d’imposer des principes universels.

« Notre dernière douleur reste aussi notre dernière curiosité. » Par ces mots, le philosophe Jean-Marie Guyau place la mort à cette jointure de notre existence où la douleur du départ vient également nous questionner. Aucune certitude n’est possible face à cette grande inconnue, hélas si familière. Et si la mort est de plus en plus mise de côté – du moins tente-t-on de l’effacer de notre vision –, il n’en reste pas moins que cette ultime visiteuse est une réalité devant laquelle chacun est seul. Penser la fin de la vie et le libre choix face à elle replace chacune et chacun devant un questionnement profond où vie et mort s’éclairent mutuellement.

Le débat sur la fin de vie et l’aide à mourir rejoint l’expérience de nombreuses familles, sinon de toutes. Il est du rôle du Parlement de légiférer dans ce domaine, d’autant que les pratiques libératrices existent mais sont mal encadrées et sans contours juridiques précis. L’évolution sociétale et la législation qui l’accompagne sont de la responsabilité du politique. Sur un sujet aussi sensible que l’aide à mourir, comme sur d’autres dans l’histoire de notre pays – dont certains sont inscrits aujourd’hui dans la Constitution –, il faut saluer le courage du législateur qui ose se mêler d’éthique et nous nous pousse à nous interroger par la même occasion. Car en fait, qui peut être certain face un proche qui souffre ou face à ses propres souffrances ?

La réalité se confronte aux convictions et il est bien difficile d’affirmer : « Moi ? Jamais ! » En République et en démocratie, chacune et chacun est libre de ses opinions, de ses convictions et de ses croyances. Il est parfaitement compréhensible que ces opinions, convictions ou croyances puissent être en contradiction, parfois radicale, avec un projet de loi. Mais au nom même du principe de laïcité, qui garantit la liberté et l’égalité de tous devant la loi, il est important de ne pas céder à la tentation de tenir une vérité particulière pour absolue. Dans le domaine de l’accompagnement de la fin de vie, il est nécessaire de rappeler le principe fondamental de chaque individu, celui de la liberté de conscience.

Promesse de la fin de la souffrance

Le projet de loi portant sur le libre choix de la fin de vie est le dernier progrès en matière de liberté de conscience. La possibilité du choix individuel, en conscience, est un acte de liberté. Quelle que soit la conception du divin, il est impossible que quoi que ce soit s’impose à ce sanctuaire inviolable qu’est la conscience humaine. Il est, bien évidemment, question de choix individuels et non de principe général s’appliquant à tous. Ainsi est-il nécessaire d’accepter que l’impuissance de vivre amène à l’impuissance de vouloir vivre, et que s’enfuit le courage de poursuivre des horizons infinis.

Les principes de libre choix et de libre croyance qui président à la vie de foi doivent aussi guider la vie tout court, et sa dernière étape. Dans ce domaine, seule la conscience personnelle est libre ; le lieu où le divin parle à l’humain est un espace de décision. Tout le monde n’a pas la chance de finir sa vie dans la sérénité d’un Moïse qui, au somment du mont Nébo, peut contempler ce qu’il laisse comme promesse et comme accomplissement aux générations suivantes. Tout le monde ne quitte pas cette terre rassasié de jours comme Job.

Hélas il y a des moments où avancer l’inéluctable départ est la promesse de la fin de la souffrance. La souffrance n’est pas la vocation humaine. La mort peut apparaître comme une libération pour de nombreuses familles. Libération pour celui dont la vie est une souffrance qui fait espérer le dernier lit humain, la terre ! Libération pour les proches qui voient disparaître dans la souffrance l’être aimé et dont les dernières heures d’existence seront comme un cauchemar au bout du souvenir. Il faut accepter et comprendre que la fleur fanée ne peut plus vivre. Et comme le dit le philosophe Marc-Aurèle : « Termine ta vie l’âme satisfaite. »

Une décision en conscience

En Suisse, une personne peut décider de mourir en recourant au suicide assisté, et il y a de plus en plus de demandes d’accompagnement. Il est inévitable que les pasteurs ou les diacres y soient confrontés. En Suisse, le Conseil synodal vaudois leur laisse le libre choix d’intervenir dans de
telles circonstances. Sans imposer, il invite à accompagner le demandeur et ses proches. Être invité plutôt que de contraindre permet aussi d’offrir une meilleure présence à toutes les personnes concernées.
Cette liberté semble primordiale.
Les personnes qui souhaitent recourir à l’aide à mourir, ainsi que les personnes qui souhaitent mourir le plus naturellement possible, doivent être libres de leur choix.
Il ne faut pas opposer les soins palliatifs et l’aide au suicide. La vie entière est faite de choix, alors pourquoi pas celui de choisir comment nous souhaitons mourir, du moment que cette décision est faite en conscience et en liberté ?

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