Michel Durand

Un prêtre engagé

entre fidélité et insoumission

Préface de Christian Delorme

Postface de Sophie Divry

Goulven Jézéquel

éd. Karthala

www.kartala.com

268 pages- 25 €

Recension Gilles Castelnau

Ce livre est fort sympathique. C’est la vie et le ministère d’un prêtre catholique de paroisse ouvert à ceux qui, justement, ne fréquentent pas sa paroisse. Goulven Jézéquel a su nous le présenter avec précision et nous faire partager l’émotion et l’enthousiasme que sa spiritualité ne manque pas de susciter autour de lui.

Michel Durand, curé de paroisse notamment au Creusot et à Lyon, ne s’est jamais opposé frontalement , ni à ses évêques successifs ni généralement aux règles des autorités catholiques. Il n’a pas quitté le ministère comme tant d’autres, ne s’est pas marié et n’a manqué à aucun de ses devoirs. Et pourtant autour de lui se répandait – Goulven Jézéquel nous le fait bien sentir – la chaleur d’un amour fraternel pour les exclus, qui nous saisit et nous entraine.

Dans une première partie nous présente en détail les étapes successives de la vie de Michel Durand depuis son enfance jusqu’à son entrée au séminaire et ses diverses affectations.

La seconde partie est plus théologique et lui fait répondre aux questions posées par nos contemporains dans le monde actuel.

Ce livre se lit comme un roman, on a peine à le quitter car, toujours, Goulven Jézéquel nous fait penser que la suite mérite d’être connue.

La préface du Père Christian Delorme et la postface de Sophie Divry montrent bien l’importance du ministère de cet humble prêtre catholique.

En voici quelques passages :

Page 9

Préface

Christian Delorme

[…]

Le scandale des inégalités de richesses entre les hommes, celui de l’existence de centaines de millions de pauvres, celui du non-partage et du gaspillage des biens de ka terre, n’ont cessé de le hanter, et la contradiction entre les appels évangéliques et la réalité du monde lui est toujours restée insupportable. Ainsi s’est-il efforcé de mener personnellement une vie qui contribue le moins possible à ce péché collectif, et s’est-il inquiété de chercher quelles voies pourraient constituer des altematives au modèle économique dominant.

Du fait d’un certain nombre de prises de position et, plus encore, du frit d’actes concrets qu’il a posés en cohérence avec ses convictions, Michel Durand fait figure, aux yeux de certains, de « prêtre gauchiste », ou encore « d’utopiste ».

[…]

Moi-même j’ai bénéficié de ce positionnement prophétique quand, en avril 1981, il m’a accueilli. avec mes compagnons le pasteur Jean Costil et Hamid Boukrouma, au Centre chrétien universitaire (CCU) dont il avait la responsabilité, pour une longue grève de la faim pour l’arrêt des expulsions de jeunes de familles immigrées.

Page 58

Première partie

••••• Relecture d‘une vie d’engagements sociaux, écologiques et artistiques selon l’Évangile

••• Le Creusot : la double expérience du travail salarié et d ‘une paroisse « schneidérisée »

J’ai été serveur de restaurant le midi. J’avais des amis qui travaillaient dans ce secteur et m’ont montré le chemin. J’ai fait aussi ce qu’on appelle les « extras », c’est-à-dire notamment les repas de communion ou de mariage, le soir, et dans ces occasions j’ai pu entendre des invités, qui ne savaient pas que j’étais prêtre, faire des commentaires — critiques, et même moqueurs ! — sur le discours de mes confrères, sur l’homélie, sur le vocabulaire utilisé pendant la messe. Tout cela m’a fait réfléchir ! Je me suis dit : « Ce n’est pas possible ! Il faut regarder de près ce que l’on dit, la façon dont c’est reçu. Il faut changer la manière de parler… »

page 118

••• La retraite à Saint-Maurice

Mon intention est de laisser de la place aux laïcs, du moins d’agiter la question, car je suis malgré tout prêtre auxiliaire de facto ! Le curé actuel et son prédécesseur ont accepté qu’il y ait ce genre de réflexion, même si elle n’est pas toujours évidente. L’un d’eux, par exemple, a pu me demander d’animer une eucharistie en semaine alors qu’il serait absent. J’ai dit non ! Il me semble que les paroissiens peuvent et doivent se retrouver pour prier ensemble, bien qu’il n’y ait pas d’eucharistie. Si je venais « dire la messe » en l’absence du curé, les chrétiens ne s’organiseraient pas entre eux pour prier, ils viendraient « assister » à une eucharistie. Je pense, j’espère que ce type de refus de ma part fait réfléchir les uns et les autres. L’engagement des fidèles dans la vie de la paroisse pourrait néanmoins aller beaucoup plus loin ! J’aimerais qu’ils se responsabilisent davantage. On dit que cela arrive petit à petit. J’aimerais qu’ils s’organisent eux-mêmes pour des réunions de prière ; mais beaucoup de paroissiens ne se déplacent pas s’il n’y a pas d’eucharistie.

Page 123

••••• Deuxième partie

Dialogues sur la vie en Église,

sur la vie de l’Église

et sur ses relations avec le reste du mode

Est-ce que je ne vais que répondre à des gens qui viennent voir le prêtre, qui viennent à la paroisse, à la maison paroissiale ? Ou bien est-ce que je vais être en situation de rencontrer les gens qui ne viennent pas, qui n’ont pas l’intention de venir demander quoi que ce soit dans l’eucharistie, ce qu’on appelle la messe ou un autre sacrement ?

Dès ma formation, j’ai eu ce souci de rencontrer les gens qui ne viennent pas spontanément dans un lieu de culte. Et en tant que prêtre diocésain, je me suis parfois senti un peu coincé, puisque le poste que l’on nous donne est tout de suite rattaché à une paroisse. Depuis fort longtemps j’ai eu cette interrogation : comment rejoindre les gens qui ne viennent pas à l’Église ? Dans ma vocation, je me sens vraiment appelé à faire en sorte que le visage de l’Église change, pour que les gens qui sont en dehors d’elle puissent la regarder avec sympathie.

Page 145

••• Sur les évêques et sur les papes

Mes rapports avec les évêques ont toujours été un peu difficiles. Je fais partie de la hiérarchie, à ce titre je suis comme les évêques même si je ne suis pas évêque, et la formation que nous avons reçue ne peut pas nous être autres que des cléricaux. Même des laïcs qui se soumettent à l’autorité d’un prêtre s’inscrivent dans ce cléricalisme. Notre formation de prêtre est très centrée sur le culte, très centrée sur les sacrements. Nous avons été habitués à nous considérer comme des personnes à part, distinctes des laïcs. Ces travers sont actuellement renforcés par le fait que presque tous les aspirants à la prêtrise sont issus de familles catholiques traditionnelles, voire traditionalistes. L’Église est actuellement soucieuse de garder son public, très soucieuse de cultiver son entre-soi catholique, alors qu’elle devrait être soucieuse du monde qui est à évangéliser. Si l’on regarde le parcours du Christ, on voit qu’il est constamment sur les chemins. Quand je considère la formation que nous, les prêtres, avons reçue et recevons dans les séminaires, je dois constater que nous sommes formés à être dans une église, à protéger l’Église. La formation que nous recevons, même si l’on dit que c’est une formation missionnaire. est bien plutôt une formation d’entretien de l’Église telle qu’elle est.

Le pape actuel, que j’approuve véritablement sur ce point, nous enjoint au contraire d’aller aux frontières, de sortir de nos sacristies et de nos murs, de ne plus mettre de dentelles. Je souscris à cet appel parce que je me situe dans le sillage des prêtres ouvriers. Il ne s’agit pas de nier l’importance de l’Assemblée des chrétiens, mais il faut aussi se situer davantage à l’extérieur, dans le monde, dans la société.

Page 151

••• L’engagement au Prado

Le Prado est présent dans mon parcours depuis le lycée. C’est en classe de première, à un moment où je pensais déjà à entrer au séminaire, que je tombe sur un article du Reader’s Digest sur le Prado. Cet article situait Antoine Chevrier par rapport aux prêtres de son époque. Quand Chevrier organisait un séminaire, il demandait à ses séminaristes de ne pas suivre les coutumes du clergé lyonnais parce qu’elles étaient trop imprégnées par les habitudes de la bourgeoisie. L’article racontait également comment il avait ouvert une école pour former des gamins qui vivaient dans la rue. Son raisonnement était de : puisque l’Église n’arrive pas à l’intérieur d’une paroisse à recevoir des gens qui sont mal éduqués, quittons la paroisse et allons vivre là où vivent les gens mal éduqués !

Page 257

Postface

Michel Durand à Saint-Polycarpe, une pastorale

Un jour à Saint-Polycarpe, Michel donna une homélie qui disait en somme : « Pendant la Révolution, les églises et les couvents ont été pillés et dévastés par le peuple… On a dit que c’était malheureux car il y eut des violences et des foules déchaînées se sont emparées des richesses qu’elles y ont trouvées… » Là, un temps — Michel parlait assez lentement. Il reprit : « Moi, je me dis parfois que c’était peut-être un signe du Saint-Esprit… Si les églises ont été pillées, c’était peut-être une bonne chose, car elles étaient trop riches » ! Ce jour-là, j’étais assise à côté d’une dame de type col Claudine et serre-tête. Elle ne put s’empêcher de hoqueter de stupéfaction à côté de moi, dans le style Oh mon Dieu ! Je ne l’ai jamais revue à Saint-Polycarpe.

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