Ma joie en vous

Introduction aux ateliers de l’Assemblée générale des Réseaux du Parvis
publiée dans la revue des Réseaux du Parvis
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GillesCastelnau



La grande presse nous a beaucoup dit que le monde avait besoin avant tout que le synode catholique ouvre la voie du mariage des prêtres, de l’ordination des femmes, de la reconnaissance de l’homosexualité…, car ces blocages de l’Église catholique seraient responsables de la désaffection des fidèles. Certes les abus sexuels commis par des prêtres dont l’existence même est vitrifiée par les structures de leur Église qui enseigne et dénonce une morale non crédible, venue d’ailleurs, suscite forcément une attitude globale de rejet qui se répercute sur la doctrine de l’Évangile. Mais, à mon avis, ce n’est rien de tout cela que l’Église doit discuter en priorité.

En effet, les autres Églises sont débarrassées depuis cinq siècles de toute autorité centralisatrice et omnipuissante. Elles sont libérées depuis cinquante ans de toute misogynie excluant les femmes du ministère. Pour la plupart, elles se sont détendues à l’égard de l’homosexualité. Pourtant aucune Église ne peut prétendre qu’elle se porte bien.

Les convictions qui se répandent le plus rapidement et qui séduisent la jeunesse, sont l’agnosticisme et l’athéisme. Ce dont nous devons nous préoccuper – et les responsables de toutes les Eglises pareillement – me semble être de parler d’espérance, de courage de vivre à un monde triste et angoissé, pour lui donner le souffle de vie que l’on n’ose pratiquement plus appeler Dieu à cause de toutes les horreurs qui ont été dites et faites en ce nom.

Le Dieu père céleste tout-puissant, omniscient, intervenant à son gré dans l’histoire, qui hante crédos, homélies, cantiques et textes liturgiques, est récusé, à juste titre, par une majorité de nos contemporains qui constatent, qu’en réalité, ce Dieu laisse faire les tremblements de terre, les guerres, les cancers, les injustices… et qu’il n’est invoqué que pour dire non à toutes les idées des hommes. Non au socialisme, non à l’homosexualité, non au divorce, non à l’IVG, non à la PMA, non à l’euthanasie… et les gens se détournent de la religion et de Dieu. D’ailleurs les gens disent que lorsqu’on n’est pas croyant, on peut parfaitement mener une vie morale, avoir de bonnes valeurs, être honnête, sympathique, généreux, ouvert, actif dans des associations comme le Secours populaire ou les Resto du Cœur.

Certains ajoutent même qu’ils sont parfois meilleurs, plus humains que des croyants à la religion étroite et sans joie et qui disent non à tout. Ils sont obsédés par les règlements, les dogmes, les traditions incompréhensibles. Avec eux il est quasi impossible d’avoir des relations sympathiques et heureuses.

De plus, l’idée de péché qui nous est serinée le dimanche dans nos églises, inquiétait certes les gens du Moyen Âge mais plus personne aujourd’hui. Elle passe à côté de la grande préoccupation de nos contemporains qui est l’angoisse du non-sens et la dépression. Mais nous savons que la déprime qui empêche de vivre de la joie de Dieu, d’agir pleinement, trouve son antidote dans l’amour.

Les religions n’ont pas le monopole de l’amour. Mais l’amour que Jésus a manifesté, qu’il appelle à partager, n’était pas un sentiment, un mouvement du cœur, une émotion, un état d’âme comme les amoureux en éprouvent, comme on en manifeste en faille, entre amis proches. Comme les prophètes de l’Ancien Testament l’avaient toujours proclamé, c’était la recherche d’une attitude positive, une compassion pour aider les autres à vivre. « Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille le malheureux sans asile, ne te détourne pas de celui qui est ton frère » a dit le prophète Ésaïe. C’est le genre de chose que l’on peut faire alors même qu’on n’éprouve aucun sentiment pour les gens qui ne sont pas toujours sympathiques. Jésus vivait dans le dynamisme créateur de Dieu, animé de son Esprit saint. Homme de Dieu, homme d’amour, il multipliait les paroles et les gestes symboliques. Il accueillait les collecteurs d’impôts haïs et les prostituées méprisées. Il multipliait les pains. Il relevait le paralysé, guérissait le lépreux bien plus qu’un banal guérisseur que l’on paie, que l’on remercie et dont on se détourne. C’est à une vie, pleine et heureuse, une vie d’amour et de joie qu’il ouvrait les gens, sans conditions, sans exiger ni confession des péchés, ni confession de foi.

Les paroles du sermon sur la montagne demeurent inoubliables :

Heureux les pauvres en esprit, le Royaume des cieux est à eux.

Heureux les affligés, ils seront consolés.

Heureux les doux, ils hériteront la terre.

Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, ils seront rassasiés.

Heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde.

Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu.

Heureux ceux qui procurent la paix, ils seront appelés fils de Dieu.

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux.

Heureux serez-vous lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera, qu’on dira faussement de vous toutes sortes de mal à cause de moi, réjouissez-vus et soyez dans l’allégresse parce que votre récompense sera grande dans les cieux.
Car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous.

Vous êtes le seul de la terre, mais si le sel perd de sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il ne sert plus qu’à être jeté dehors, foulé aux pieds par les hommes.

Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison.

« Demeurez dans mon amour, dit Jésus, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » La joie, un niveau supérieur d’existence, nous y voilà. Jésus mettait sa joie à rendre aux gens une vie de joie. Il faisait passer les gens à un niveau supérieur d’existence qui correspond à la caractéristique du christianisme. C’est ce que promouvait Jésus en disant au paralysé : « Lève-toi, et marche » et aux lapideurs de la femme adultère de laisser tomber leur pierre. Un niveau supérieur d’existence où l’on ne désespère pas, où l’on ne se sent pas le jouet de forces mauvaises, où l’on conserve malgré tout une lumière dans les yeux, un sourire sur le cœur.

Un niveau d’existence où l’on n’est pas impuissant, malheureux, définitivement vaincu, où l’on ne dit pas que tout va mal, que le monde est pourri. Une existence où on laisse pénétrer la joie dans nos cœurs, la lumière de Dieu, la puissance de l’amour qui est toujours plus forte que la puissance du mal, où on découvre que, malgré le mal la capacité de vivre, d’agir, de créer nous est donnée. Une existence où la joie du Christ monte en nous de sorte que notre joie soit parfaite.

La joie, c’est la vie des enfants de Dieu. Elle rayonne sur toutes les créatures. Les oiseaux, les arbres, les chiens, les chats, les baleines, les tortues, les chimpanzés et les forêts luttent, tous, pour fleurir, survire et transmettre leur beauté.

Ne définissons plus Dieu comme le tout-puissant créateur du ciel et de la terre, maître de toutes choses, comme le garant sourcilleux de la morale que les gens doivent suivre, comme le maître de telle institution religieuse à l’exclusion de toutes les autres, comme révélateur des réalités historiques les plus extravagantes.

Notre Dieu est la Source de la vie, le Fondement de notre être, le Dynamisme créateur qui nous rend capables d’affronter la vie et ses malheurs, avec courage et résilience. Car Paul disait aux Athéniens qu’en Lui nous avons la vie, le mouvement et l’être. » Ne demeurons donc pas en-dessous de nos possibilités, vivons pleinement et aimons profondément. Ne déshumanisons pas les autres en nous répandant en ricanements et en dérisions. Ecoutons les plaintes des pauvres, des opprimés, des immigrés, des réfugiés qui sont parmi nous. Ne soyons pas égoïstes, ne fermons pas les yeux sur toutes les opportunités de partager un peu de notre abondance avec ceux qui ont faim, qui sont nus, avec l ‘étranger dans le besoin. Soyons généreux. Que nos mains soient ouvertes à Dieu, à nos prochains et même à nos ennemis. N’étouffons pas l’Esprit de force, de résurrection. Vivons pleinement la vie à laquelle le Christ nous a invités. Disons lui « Amen ».

François d’Assise a dit :

Là où il y a la haine, que je mette l’amour.

Là où il y a l’offense, que je mette le pardon.

Là où il y a la discorde, que je mette l’union.

Là où il y a l’erreur, que je mette la vérité.

Là où il y a le doute, que je mette la foi.

Là où il y a le désespoir, que je mette l’espérance.

Là où il y a les ténèbres, que je mette la lumière.

Là où il y a la tristesse, que je mette la joie.

Le pasteur Michel Wagner a dit : 

Au chevet des malades et des agonisants, je prie.
Avec tous les opprimés et les torturés, je crie.
Avec les passionnés, je cherche.
Avec les lutteurs, je milite.
Car il vient Celui qui désarme les résignations et suscité les possibilités.

Pourquoi la prédication d’un tel dynamisme créateur, d’un tel engagement fraternel, a-t-elle tant de peine à se faire entendre dans les différentes chaires chrétiennes alors qu’elle correspond à tous nos désirs, à toutes nos préoccupations fondamentales. Il serait d’ailleurs bien nécessaire que les théologiens musulmans et juifs se préoccupent également du si faible niveau spirituel des fidèles qui attachent, sans en tirer un grand bien, plus d’importance à la nourriture qui sort de leur bouche qu’aux paroles qui en sortent. 

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